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28 décembre 2008 7 28 /12 /décembre /2008 19:07
Quel rapport , me direz-vous ? Tout, et puis rien. Tout se nourrit de tout.
J'ai trouvé des trésors dans mes malles, disais-je.



Fin 1994, je rentrais de New York. (J'y serai avec Nicolas en 2004, dix ans plus tard, et souvent entre-temps, mais peu importe). 1994, décembre. J'avais fait quelques photos, et j'avais fait imprimer à la hâte ces cartes de voeux à NY. Je les voulais kitsch, sur l'instant, elles l'étaient.
De retour à Paris, entre deux rendez-vous, je passe dans quelques librairies et me pose au Café de Flore. En haut. A l'époque, on fumait encore là-haut - ce détail a son importance -, parfois Luchini répétait son texte, Sonia Rykiel discutait avec sa fille, etc... Bref, Le Flore.
J'ai toujours aimé St Germain des prés, à cause de sa tradition littéraire, et la salle en haut du Flore, où les touristes n'osent pas se risquer, et où les rendez-vous professionnels se déroulent dans le calme et l'harmonie. Parfois je m'y rendais seule, je m'accordais ce moment là, avec des livres. Je me faisais une faveur. Une bulle, un trou dans l'espace-temps.

Cette histoire est vraie, bien sûr. Invraisemblable, mais vraie. Le Flore. J'avais acheté ce livre de photographies de Wim Wenders, des lieux vides chargés d'humanité, notamment Cooper Bedy en Australie, là où ont été tournées certaines scènes de "jusqu'au bout du monde". Je regardais ces images, et de même que parfois on a vaguement conscience d'un personnage flou, à l'arrière-plan, j'entendais une conversation, à ma gauche, sans vraiment l'écouter. Mon esprit, partagé entre mon livre et ces mots entendus, retenait : plusieurs personnes, accent étranger, Français remarquable, sujet : cinéma, les villes, les lieux. Bien.

C'est alors qu'une de ces voix a demandé "Pardon Mademoiselle, puis-je vous demander une cigarette ?". Il m'a fallu quelques instants pour réaliser que LA voix s'adressait à moi, pour sortir de ces images dans lesquelles je m'étais enfuie, pour tourner le visage et le regard vers la gauche, donc, et découvrir, charmant, Wim Wenders, en quête d'une cigarette.
Ce sont ces moments dans une vie où les pensées se bousculent et dansent presque, absurdes, drôles, enchantées : "Oh, M. Wenders, comme j'aimerais trouver les mots pour vous dire votre "Paris Texas", vos "ailes du désir", votre "jusqu'au bout du monde", pour vous remercier, pour vous faire sourire, vous voulez une cigarette, M. Wenders ? mais laissez-moi vous offrir le paquet, votre café, ma chemise, demandez-moi ce que vous voulez, vous m'avez tant donné, comme c'est drôle, j'ai vos images là dans les yeux et votre livre dans les mains et vos films dans le coeur, alors pourquoi, pourquoi, je sais que je ne vais rien oser vous dire ?" voilà, à peu près, ce qui se passe quand on est une gamine et qu'on a devant soi Wim Wenders, himself.
J'ai simplement dit "je vous en prie" en tendant mon paquet, puis mon briquet, ses gestes étaient lents et beaux tandis qu'il allumait sa cigarette, mais ils n'allaient pas durer éternellement, je lui ai dit juste ça, très vite, presque à voix basse : "Votre travail me touche tellement... Pardonnez-moi, je ne peux pas en parler maintenant."
Il a souri, a tiré avec un plaisir évident sur sa cigarette, a dit ces mots "il faut écrire quelque chose, vous avez un papier ?" J'ai regardé dans mon sac, je n'avais que cette carte de voeux stupide de NY, tant pis, je l'ai prise, je l'ai tendue. Il a regardé, a souri à nouveau, a demandé mon prénom, a écrit quelques mots. Ensuite il a conclu : "Merci pour la cigarette. J'aime beaucoup votre regard." Et sans me laisser le temps de répondre -il valait mieux - il s'est retourné vers ses complices, la conversation a repris, des voix, à nouveau. Ainsi s'est achevée ma première, et dernière entrevue avec Wim Wenders.


Inutile de vous dire que ce papier, je le croyais perdu, ad vitam eternam.
Dans une malle, il y a 4 jours, j'ai retrouvé le livre de photographies. J'ai pensé : "Tiens, il y a un mot à l'intérieur", j'ai écarté les pages et ce papier est tombé dans la poussière. Je l'ai ramassé et j'ai soufflé. Pfhhhhh... J'ai redécouvert ces mots, tracés par Wenders, le 18 décembre 1994. Et seulement maintenant, en 2008, je vois. Je vois l'aile de l'ange.

Après, je peux vous dire beaucoup de choses. Comme par exemple : quand je photographiais Nicolas sur les toits de New York, Wenders et Bruno Ganz n'étaient sans doute pas loin. Je peux dire ça, ou autre chose... Que Wim Wenders adore les "marchands de couleurs", ces échoppes à l'ancienne où l'on vend des pigments à Tokyo ou à Kyoto... Qu'il aime écrire le nom d'une couleur avec un crayon de cette couleur (je l'ai fait cent fois...) Que les ailes ne sont pas réservées aux anges... Que "La vérité des images" est un de mes livres favoris... Wenders y évoque cette "tendre violence" pour qualifier l'acte photographique... ou le geste selon Nicolas ?...etc...
Tout se nourrit de tout.









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