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18 décembre 2008 4 18 /12 /décembre /2008 20:39


 
























AMES FATALES

" Je suis cernée. J’ai encore dans la tête, et sous la peau, les frissons de tes « Little Girls ».  Elles m’entourent et forment une ronde étrange, infernale et charmante. Tu as ouvert la porte de cet univers où je me perds et me retrouve, du songe au souvenir, de l’interrogation à l’imagination. J’ai cru franchir une porte et j’étais bien naïve. C’était un sas, un passage dans ce monde-là. Ton monde, dévoilé, et voilé. Dans cette galerie, J’ai observé le temps, ralenti ou dilaté, je ne sais plus. J’ai vu le regard de l’enfant, droit et sincère, forcément. Sans contrainte et sans artifice. A l’aube de la photographie, ces enfants-là n’ont pas eu peur qu’on leur vole leur âme, bien au contraire, ils l’ont donnée, en un instant. Volontaires… Oui tes petites filles sont volontaires, elles crient en silence, elles affirment aussi, entre deux questionnements. Ce sont des âmes fatales. Et de ces fragments d’âme, bien au-delà d’une simple photographie, tu as fait un labyrinthe, tu nous as emmenés dans des dédales luxuriants ou naïfs, intimistes ou sonores.

Qui étaient-elles ? Celles qu’elles sont devenues sous tes doigts, et dans ces mots inscrits par l’homme qui écrit, et par tes mains qui tracent : des icônes fragiles, étonnamment vivantes. Bien sûr les mots sont beaux à regarder, et l’encre aussi, et la matière, dedans, dessus, partout, mélangée, vivante, et unique.  Redonner corps, et âme, voilà ce que tu as fait dans cette œuvre d’envergure que sont tes cinquante et quelques toiles. Cinq années, un fragment de vie, encore. (Tiens, un écho ? je souris… mais revenons à toi.) Elles ont tout dans les yeux, tes « Little Girls » : les rêves candides, les questions décisives,  la trop humaine mélancolie, les peurs - et pas celles de l’enfance - , et la gaieté innocente, aussi. La joie et la détresse d’une vie, la nécessité d’un sourire, l’allégresse d’un instant et la merveilleuse inutilité de l’instant d’après. Elles ne servent à rien, ces petites filles, fort heureusement. Elles sont tes complices et tes messagères, tes orphelines aussi, elles sont déjà hors du temps, entre le miroir et toi, va savoir pourquoi dans le miroir j’entends aussi des mots. Ou des soupirs. Tu as pris les débuts et les fins, la gravité dans les deux sens, tu as tout secoué avec une insolence délicieuse, tu te joues de tout, décidément, Candida, aurais-tu choisi ton prénom ? Et pourtant… il y a, à côté de la peur et de l’abîme, tellement de tendre ardeur dans ces petites filles, aussi, des pâquerettes au cœur rouge et des feuillages dorés, des volutes et des chuchotements, autant de mystères que de vies, la tienne la mienne la leur, c’est tous et chacun qui se reflètent au fond de ces yeux-là. Je me suis promenée avec toi entre ces petites filles, c’était bon, c’était doux, j’aurais presque pu te donner la main.

Après, par je ne sais quelle alchimie, nous avons parlé de nous, enfants. Tu t’en souviens ? Comme c’est drôle… Tu m’as décrit la petite fille que tu étais, et j’ai fait de même. Nous avons parlé copines, cartables et grosses lunettes, raie au milieu et enfants sages, bohème et vie d’artiste, premiers rangs, tableau noir, cadre et hors cadre. Nous parlions librement en apparence. Crois-tu ? Ensorcelées, en réalité. Parce que, entre les débuts et les fins, donc, tu te tiens au milieu, humble et immense : c’est toi l’ensorceleuse. Celle qui nous ramène à l’essentiel, celle qui mène la danse de ce ballet étrange qu’est une vie, une chorégraphie unique et imparfaite, une représentation qui n’est donnée qu’une fois. C’est bien là l’absurdité de notre condition, et tes petites filles me le chuchotent, et tu les regardes me parler. Qui est vivant ? Qui est mort ? Pour combien de temps ? Quoi de plus important, au fond, dans une vie, qu’une pâquerette au cœur rouge, qui n’a de réalité que dans nos rêves ? Dire l’essentiel avec une apparente simplicité… des fleurs des feuilles des branches des visages et quelques mots… Pas de doute, c’est tout un art.

Et caressant, en plus… Parce que… en vérité, je ressens le besoin de les revoir, tes petites filles. Elles m’obsèdent et m’enchantent. Elles m’accompagnent, il me semble les avoir rencontrées, et toi avec elles. Tu sais, au sortir de ce chemin halluciné, je suis comme les roses de « Tu rêvais qu’on te couvre de fleurs » : j’ai la tête à l’envers ; et les jambes dans le ciel, je crois battre fébrilement  la mesure de  ta musique singulière, selon un rythme mystérieux, le sursaut imperceptible de ces cœurs pas vraiment éteints. Des battements de vie dans un ciel délavé. Ah, la couleur de ce ciel-là, un bleu cyan tendre et mélancolique à la fois, transparent comme un frémissement promis et triste comme un souvenir qui s’évanouit, oui, ce bleu-là, comment l’as tu trouvé ? Comme le reste, sans doute. A l’intérieur.

Merci." 


••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••

NB : Vous pourriez vous dire : quel rapport avec Nicolas ? Rien, et puis tout. Justement. Parce que la vie n’est faite que de rencontres, d’émotions à donner et à recevoir, parce que je suis ce que ces rencontres me font, parce que si je photographiais Nicolas demain ce serait peut-être avec les yeux d’une de ces petites filles. Parce que la vie est ainsi. Ou parce que je la veux ainsi.

  





















"Little Girls" / Candida Romero

Textes de Pierre-Jean Rémy, de l'Académie Française.


Galerie Azzedine Alaïa
18 rue de la Verrerie
75004 Paris

10h30 - 19h, jusqu'au 24 décembre 2008. 





 

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